Tribune Journal Le Marin | « Ensemble, traçons une route meilleure pour les pêcheurs »

Par Yvon Neveu, armateur à la pêche à Fécamp, président de la SAMAP (Société d’assurance mutuelle des armateurs et professionnels de la mer) et vice-président du From nord.

Yvon Neveu est armateur à la pêche à Fécamp. (Photo : DR)

« Les problèmes qui se posent aujourd’hui, et depuis longtemps, ont pour origine les gestions des quotas de pêche et de la ressource par la Commission européenne. L’Union européenne a voulu gérer la pêche artisanale comme la pêche industrielle, par un système de quotas. Or l’industrielle exerce des pêches dirigées, généralement sur peu d’espèces comme le colin noir, le cabillaud, ou les pélagiques : harengs, maquereaux, chinchard, merlan bleu, pour les principales, les autres étant accessoires. Les navires vont le plus souvent chercher ces poissons dans la mer du Nord et à l’ouest des îles britanniques. À la pêche artisanale dite pêche côtière, les navires pêchent le plus souvent près des côtes françaises ou à quelques heures de route de leur port d’attache selon la période de l’année, la taille des navires et les espèces ciblées.

Dans les années 1980-1990, l’Union européenne (UE) a largement subventionné les armements à la pêche et a permis un développement considérable du nombre de navires. Ce, sans contrepartie sur la gestion de la ressource si ce n’est la mise en place de quotas - avec un faible niveau d’exigence sur leur respect - pour la pêche industrielle essentiellement.

 

« Des patrons découragés et las »

 

Depuis plusieurs années, les chalutiers artisans qui pratiquent la pêche au chalut de fond dit « divers » (pêche démersale de plusieurs espèces sans distinction) doivent, pour soi-disant gérer la ressource, rejeter certaines espèces comme le bar, le maquereau, la raie et autres soumises à quotas : les directives européennes obligent les pêcheurs à les rejeter lorsque le quota est atteint ! Quoi de plus préjudiciable pour la ressource que de rejeter du poisson une fois qu’il est pêché et mort par asphyxie ? Est-il normal de jeter, en même temps que ces poissons, une grande partie du salaire des marins et de mettre en difficulté l’équilibre financier de l’armateur ? Plus on rejette plus il faut pêcher d’autres espèces pour compenser et atteindre le chiffre d’affaires nécessaire à la rentabilité de l’armement. Pendant ce temps, on importe du poisson. Une véritable fuite en avant…

Beaucoup de patrons pêcheurs sont découragés et las de cette hérésie, beaucoup de matelots se sont dirigés vers d’autres métiers. Aujourd’hui, la pêche fait face à un sévère problème de recrutement pour composer des équipages dans tous les ports pour toutes ces raisons.

Par ailleurs, certaines espèces sont en abondance, et les quotas ne sont pas à la hauteur de ce qui pourrait être capturé sans nuire à la ressource (NDLR : ce que les scientifiques appellent le rendement maximal durable, RMD). Entre la réalité du terrain et l’adoption des directives européennes de gestion, il se passe deux ans durant lesquels les rejets se poursuivent.

J’ai la conviction que nous pouvons faire beaucoup mieux !

 

« Jours de mer et zéro rejet »

 

Pour éviter ce gaspillage aberrant et pour une meilleure gestion de la ressource, il faudrait que la pêche côtière passe au nombre de jours de mer par mois ou par an et n’ait pas à rejeter les poissons capturés. Cela doit passer aussi par une augmentation du maillage minimal des engins de pêches afin d’éviter de pêcher trop petit et la vente à bas prix de ces tailles peu valorisées. En comparant la taille des espèces capturées dans le passé, par exemple dans les années 1990, il est très clair que les tailles débarquées aujourd’hui ont fortement diminué. Les gros poissons se raréfient.

Il faut également faire des box et les interdire à toute pêche, à l’instar de ce qui est mis en œuvre pour la coquille Saint-Jacques et qui a fait ses preuves, pour laisser la ressource se développer.

La pêche artisanale a toujours su s’adapter à la ressource présente devant les côtes par sa polyvalence et son développement.

Avec le réchauffement climatique, on a vu des changements notables dans les espèces capturées. Durant la deuxième partie des années 1980, après deux ou trois hivers rigoureux, une arrivée massive de cabillaud de petite taille a eu lieu en Manche avant de poursuivre une migration vers l’ouest. Aujourd’hui, nous ne trouvons plus de cabillaud en Manche du fait du dérèglement climatique et non de la surpêche comme on a pu l’entendre quelquefois : nombre d’espèces ont migré vers le nord telles que le cabillaud, le merlan, le maquereau ou encore le merlu, comme l’ont montré les statistiques de pêche. Dans le passé, le maquereau était absent du nord de la mer du Nord et en mer de Norvège. Aujourd’hui, des pays comme l’Islande pêchent en masse des quantités importantes de maquereau.

 

« Nourrir les Européens »

 

D’autres espèces, tels l’encornet ou le poulpe, ont également migré vers le nord. Avec, pour conséquence, des apports importants, comme ceux de poulpe au Guilvinec, alors qu’il se trouvait auparavant plutôt dans le nord de l’Espagne et du Portugal. L’encornet, lui, est abondant en fin et début d’année en Manche et dans le sud de la mer du Nord. Dans le passé, on ne le pêchait que l’été. Maintenant, débarrassé de ses prédateurs que sont le cabillaud et le merlan, par exemple, il prolifère.

Tous ces paramètres doivent être pris en compte dans les décisions communautaires si nous voulons nourrir les Européens, préserver la ressource et permettre à la pêche artisanale de s’en sortir. Si augmentation du maillage minimal, cantonnement, nombre de jours de mer, suppression du régime des quotas, etc. étaient acceptés par la Commission européenne, il faudrait que l’UE puisse compenser les pertes de chiffres d’affaires conséquentes à ces mesures par un moratoire, ou tout autre moyen, dans une démarche d’amélioration continue. Avec une analyse, au bout de trois ans, des retombées et des progrès de la ressource afin de redéfinir une progression de sa gestion comme cela a été fait en Méditerranée lorsque la commission a augmenté les jours de mer des chalutiers au vu des résultats encourageants des mesures prises ces dernières années.

Ensemble, nous devons tracer une route meilleure pour les pêcheurs d’aujourd’hui et pour le bien de ceux de demain. Les décisions européennes passées ont poussé les pêcheurs à malmener la ressource, mais plus personne ne veut cela.

 

« Tirer les enseignements des erreurs passées »

 

Aujourd’hui, nous devons faire table rase de toutes ces erreurs et, ensemble, en tirer les enseignements. Toute la profession l’attend et, bientôt, les consommateurs s’interrogeront sur notre indépendance alimentaire. Il faut impérativement adapter le système de gestion de la pêche et être force de propositions si nous voulons garder une pêche locale dynamique en France, nourrir nos compatriotes, préserver la ressource et l’avenir !

Cela favorisera le maintien des activités essentielles dans tous les ports de nos côtes, je pense notamment aux fournisseurs de matériel, aux ateliers mécaniques, aux mareyeurs et à tous ceux qui contribuent à faire d’un port de pêche sa raison d’être.


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